Tout voyage au pays Dogon prend des allures de pèlerinage. Pèlerinage chez l’une des populations les plus anciennes de l’Afrique noire, mais aussi vers une civilisation des plus riches et des plus mystérieuses qui depuis une cinquantaine d’années fascine les ethnologues.
Situé au sud-est du Mali près de la frontière du Burkina Faso, le pays Dogon est classé sur la liste du patrimoine de l’Unesco.
Le pays est coupé par une falaise de 200 km de long et de 400 à 700 mètres de hauteur qui va de Bankass au sud à Douentza au nord et se termine par les inselbergs (buttes isolées au milieu d’une plaine d’érosion) de la région de Hombori , mont Hombori point culminant du Mali.
- Le plateau, région très accidentée. Les surfaces cultivables sont rares, les habitants subsistent grâce à des cultures irriguées à partir de quelques cuvettes d’eau.
- La falaise à laquelle sont adossés les plus beaux villages adossés à la falaise. Les ruisseaux qui coulent de la falaise et les multiples sources permettent l’agriculture.
- La plaine ou séno région sableuse constituée de grandes dunes de sable. Plaine aride bénéficiant des eaux de ruissellement de la falaise.
Les Dogons : une civilisation étonnante
Si Djenné et Tombouctou sont connus de l’Europe depuis des siècles, Sangha et le pays Dogon n’ont été révélés à l’Occident que tardivement, grâce à l’expédition ethnologique conduite, en 1931, par Marcel Griaule.
Le pays Dogon est un véritable sanctuaire, musée vivant, l’un des derniers îlots d’une culture authentiquement africaine qui a survécu à tous les assauts de la civilisation occidentale. La région, habitée par un des peuples les plus étonnants de toute l’Afrique noire, exerce une réelle fascination sur tous ceux qui la visitent. Retranchés depuis des siècles au sein de cet univers chaotique de pierres et de sable, les habitants continuent de perpétuer une tradition multi-séculaire. Chez les Dogons, chaque geste de la vie quotidienne est régi selon un code de lois ancestrales, qui place Amma, force créatrice suprême et Dieu unique, au commencement du monde. Le mythe, la cosmogonie, la pensée symbolique créent un univers qui se tisse et se transmet au fil des générations grâce à la parole d’origine divine.
Pour accéder au monde des Dogons, il est indispensable de recourir à un guide local, à l’instar de Marcel Griaule lui-même, qui écouta des jours et des jours le vieux chasseur aveugle Ogotemmêli lui révéler la cosmogonie dogon, rapportée dans l’ouvrage Dieu d’eau.
Car il ne s’agit pas seulement de connaître les passages des éboulis de la falaise : il faut savoir que tel pan de mur, tel rocher, telle colonne d’argile, telle poterie dans une anfractuosité, tous objets en apparence anodins, sont investis d’un caractère sacré car, ici, tout est sacré.
Avec de la patience et de l’attention, on a quelque chance de faire oublier qu’on est un intrus, car les Dogons respectent ceux qui les respectent : on peut alors, tout à loisir, regarder vivre et travailler le peuple de la falaise. C’est du haut de celle-ci, qui domine Irelli de plusieurs centaines de mètres, que l’on peut se faire une bonne idée de l’architecture dogon : chaque bâtiment s’accroche au moindre replat, colle à la falaise, s’y abrite lorsqu’il trouve un auvent naturel.
Ainsi les habitants vivent en étroite symbiose avec leur univers minéral,de la naissance jusqu’à la mort. En effet, le corps défunt, enroulé dans la rituelle couverture en damier noir et blanc, est hissé dans les cavités du roc.
Les mythes dogons, très complexes, constituent le fondement même de l’existence. Ogodemmedi expliquait à Marcel Griaule que même le banal grenier à mil était un symbole du cosmos par la disposition de ses compartiments et leur nombre, que les niches qui quadrillent les façades des maisons rappellent les ancêtres primitifs. Symbole encore que la forme du panier dogon, carré au fond, circulaire à son ouverture : il évoque les points cardinaux et la voûte céleste.
La mythologie dogon n’est pas connue seulement de quelques grands initiés : tous les habitants savent à quelles croyances se rattachent les particularités du vêtement,des sculptures, des scarifications ou du limage des dents.
D’après la tradition, les Dogons seraient venus du Mandé, région située au sud-ouest de leur habitat actuel, qui fut, au XIIIe et XIVe siècles, le centre de l’empire du Mali. Leur langue qui se subdivise en plus d’une dizaine de dialectes,comporte, de surcroît une langue secrète, le sigiso,utilisée par les « masques » lors des cérémonies religieuses. Elle est enseignée par les anciens aux jeunes postulants.
Petits villages
La saison des pluies ne durant que quatre mois par an, il n’y a pas de rivières permanentes. Des trous d’eau et des mares
aménagées permettent la subsistance pendant la saison sèche. Les Dogons cultivent mil, sorgho, et riz ainsi que des oignons et quelques autres légumes. Ils élèvent du petit bétail surtout des moutons.
La population dogon, quelque 350 000 personnes, est disséminée en de nombreux petits villages, pour la plupart accrochés aux falaises. On y accède généralement par un chemin vertical, en s’aidant de cordes et de crampons de fer fixés dans le roc.
Les maisons sont construites en pierre sèches ou en banco,briques d’argile crue, séchées au soleil et assemblées avec du mortier d’argile, matière dont sont également revêtus les murs. Le plan des habitations est quadrangulaire ; les pièces, au toit en terrasse, s’ouvrent sur une cour intérieure.
La grande maison de famille, habitée par le patriarche, ses femmes et ses enfants non mariés, comporte des étages auxquels on accède au moyen d’une échelle taillée dans une branche fourchue. La façade est ornée de quatre-vingts niches symbolisant les huit ancêtres premiers et leur descendance « nombreuse comme les doigts de leurs mains ». Chaque maison est flanquée de plusieurs greniers aux toits coniques recouverts de paille, pouvant contenir jusqu’à trois récoltes. Tout village comporte des constructions communales : des greniers, des autels, un abri au plafond bas recouvert d’une épaisse couche de tiges de mil où se réunissent les hommes, le toguna ou case à palabres, supporté par huit poteaux –les omniprésents huit ancêtres primitifs- et la maison ronde des femmes réglées construite à l’écart des autres habitations.
Initiés et non initiés
La famille étendue, ou ginna, se compose de tous les descendants d’un même ancêtre en ligne masculine. Chaque ginna possède collectivement un ensemble de maisons et de champs dont la propriété est inaliénable. Ces biens sont gérés par l’homme le plus âgé qui habite la grande maison, symbole de la lignée ; la femme appartient au ginna de son mari et l’enfant à celui de son père.
Des groupes sociaux,opposés et complémentaires, donnent forme à la société dogon : initiés et non-initiés, hommes et femmes, groupes d’âge, cultivateurs et gens dits « castés ». Les classes d’âge sont composées de garçons ayant subi ensemble la circoncision et qui, de ce fait, sont tenus à s’entraider pendant toute leur vie. Depuis cette cérémonie jusqu’après leur mariage, une maison leur est réservée au village. Les filles vivent de la même façon.
Les castes sont formées de tous ceux qui ne cultivent pas la terre ; griots, artisans du fer, du bois du cuir. Les relations sexuelles avec les membres du groupe des cultivateurs leur sont interdites. Ils habitent des quartiers séparés, se marient entre eux et sont organisés en familles étendues comme les autres Dogons.
La mythologie explique l’origine des castes : ainsi le premier forgeron, descendu du ciel dans le grenier céleste, fit pénétrer dans la terre une partie de ses forces afin de la préparer aux moissons, rendues possibles grâce aux outils qu’il fabrique. Il a donc transmis à ses descendants une force vitale amoindrie par rapport à celle des autres Dogons. Mais il peut la reconquérir, à titre personnel, par l’exercice même de son métier, en frappant quotidiennement la terre de sa masse. Ainsi, chez les Dogons, tout est expliqué par la mythologie.
Masques et statuettes
La sculpture dogon, masques et statuettes, est avant tout – comme partout en Afrique- rituelle hormis les objets fabriqués depuis quelques décennies à l’intention des touristes.
Les statuettes – les authentiques - conservées dans des sanctuaires familiaux représentent des ancêtres ou des êtres mythiques. Beaucoup d’entre elles ont été volées et se trouvent aujourd’hui dans les musées européens ou américains. Certaines d’entre elles, les plus anciennes probablement, ont été trouvées à demi enfouies dans des grottes, couvertes d’un dépôt rougeâtre épais, sang d’animaux sacrifiés. Les Dogons, les attribuent aux Tellem, leurs prédécesseurs dans les falaises de Bandiagara, bien que la similitude de leur style avec les œuvres plus récentes indique une origine dogon.
La diversité des formes remarquable : ancêtre féminin traité de façon réaliste, sans rigidité, le visage témoignant de la pensée ; Nommo bisexué,les bras haut dressés, monté sur un cheval ; vieillard dont la métamorphose en serpent est indiquée par l‘aspect onduleux du bois choisi par l’artiste. La force et la vie de la sculpture dogon traduisent celle de la mythologie et du rituel. Ces statuettes en bois sont l’œuvre des forgerons, qui en font aussi de plus abstraites, en fer, aux bras sans articulations comme l’étaient, selon le mythe, ceux des premiers êtres avant leur chute sur la terre.
Les masques,au contraire, ne sont pas sculptés par des spécialistes, mais par ceux qui les portent à l’occasion de cérémonies comme les levées de deuil. La face est simplifiée à l’extrême, inscrite dans un rectangle coupé par la saillie verticale du nez. Ils sont parfois surmontés de cimiers, dont le plus connu est une sorte de croix de Lorraine à valeur symbolique. Chaque masque est complété par un costume achevant de caractériser le personnage mythologique représenté par le danseur. La sortie des masques est une espèce de grand ballet dramatique, qui rappelle aux Dogons la conception précise et complète du monde que leur transmettent les générations précédentes.
Le maître de ces mystères, la plus haute autorité spirituelle, le grand initié qui dirige certains cultes et ordonne le rituel des cérémonies est le Hogon, l’homme le plus âgé et le plus respectable de la communauté. Mais son fonction de grand prêtre du Lébé, nom d’un des ancêtres primitifs qui se réincarne en serpent, lui confère d’étranges particularités : chaque nuit, dit la légende, un serpent vient l’enduire de sa bave, lui redonnant sa force vitale.